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Les contrats entre absents

Les contrats entre absents

S’il est vrai que les contrats conclus entre des individus présents physiquement sont les plus nombreux et les plus usuels, il n’en demeure pas moins que les contrats entre absents existent. En d’autres termes, les contrats entre absents ne sont pas des hypothèses d’école. Pour vous donner un exemple typique, il suffit à penser d’un commerçant guinéen se trouvant à Conakry qui contracte avec son fournisseur situé à Dubaï pour la livraison d’une certaine quantité de marchandises destinées à être commercialisées sur le territoire guinéen. Il s’agit là d’un contrat entre absents, en ce que les deux contractants ne sont pas situés, au moment de la conclusion du contrat, sur le même territoire. C’est aussi un contrat international en ce sens qu’il comporte des éléments d’extranéité : les deux parties se trouvent sur des territoires appartenant à des États différents, les marchandises transitent les frontières internationales (M. Jacquet, Ph. Delebecque et L. Usunier, Droit du commerce international : Dalloz, 2021, n° 332. - B. Audit et L. d'Avout, Droit international privé : LGDJ, 2022, n° 1043. - M.-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux : Sirey, 2e éd., 2020, n° 207).

Lorsqu’un contrat est conclu entre des personnes présentes physiquement, la formation de ce contrat ne présente, en ce qui concerne son moment et son lieu de formation, guère de difficultés, tant il est vrai que le lieu et le moment sont identiques, car les contractants se trouvent au même endroit et au même moment lors de la formation du contrat.

En revanche, tel n’est pas le cas du « contrat dit entre absents » qui est défini comme un contrat conclu entre des individus qui ne sont pas présents physiquement sur un même lieu, ni par eux-mêmes, ni par l’intermédiaire de leur représentant, au moment de sa formation (S. Porchy-Simon, Droit civil 2e année, Les obligations, Dalloz, 10 éd., 2018, n° 140, p. 65).

Il en est ainsi d’un contrat conclu par courrier ou par téléphone ou encore par internet.

Dans ces hypothèses, plusieurs questions se posent : À quel moment peut-on considérer que le contrat est formé ? Est-ce au moment où l’acceptant émet son acceptation ou est-ce au moment où l’offrant reçoit l’acceptation du destinataire de l’offre ou encore est-ce au moment où l’offrant prend connaissance de l’acceptation du destinataire de l’offre? Quel est le lieu de formation du contrat ? Quelle est la loi applicable à ce contrat ? Quel est le point de départ du délai de prescription en cas d’une action en nullité du contrat ?

Ces questions présentent non seulement des intérêts théoriques, mais également des intérêts pratiques.

C’est la raison pour laquelle avant de voir la solution qui leur est réservée en droit positif (III), il y a lieu, d’abord, de montrer leurs intérêts pratiques (II), ainsi que les théories qui leur avaient été proposées par la doctrine (I).

 

Sommaire:
I- Les théories proposées par la doctrine
A- La théorie de l’émission
B- La théorie de l’acceptation
II- Les intérêts pratiques
A- Intérêtspratiquesendroitdescontrats

  1. 1-  La rétractation du consentement de l’offrant
  2. 2-  La révocation du consentement de l’acceptant
  3. 3-  Transfert des risques
  4. 4-  Prescription de l’action en nullité du contrat

B- Intérêtspratiquesrelatifsàlacompétencedestribunauxouàlaloiapplicable

  1. 1-  En droit interne
  2. 2-  En droit international privé

III- La solution en droit positif

  1. A-  Lessolutionsjurisprudentielles
  2. B-  Lasolutionprévueparlescodescivilsguinéenetfrançais
  1. 1-  Le Code civil guinéen
  2. 2-  Le Code civil français

I- Les théories proposées par la doctrine

Deux théories ont été conçues par la doctrine pour résoudre les questions relatives au lieu et au moment de la formation d’un contrat entre absents.

A- La théorie de l’émission

Pour cette théorie, le contrat entre absents est réputé conclu au moment où le destinataire de l’offre émet son acceptation.

L’idée qui sous-tend cette théorie est que le contrat est conclu au moment de la rencontre de l’offre et de l’acceptation, c’est-à-dire au moment où l’acceptant décide de répondre favorablement à l’offre qui lui a été adressée, peu importe si cette acceptation est parvenue plus tard au pollicitant.

B- La théorie de la réception

Selon cette théorie, le contrat est réputé formé au moment où le pollicitant reçoit l’acceptation du destinataire de l’offre.

L’idée sous-jacente de cette théorie est qu’une personne qui a l’intention de s’engager par contrat ne peut l’être sans le savoir.

Or, la théorie de l’émission peut conduire à la formation du contrat à un moment où le pollicitant ignore l’acceptation de son offre. En effet, pour la théorie de l’émission, le contrat est réputé conclu dès l’émission de l’acceptation et ce, même si ladite acceptation est parvenue tardivement au pollicitant.

II- Les intérêts pratiques

Les contrats entre absents ne sont pas des cas d’école. Ils présentent en effet de nombreux intérêts pratiques qu’il convient de présenter ci-après.

A- Intérêts pratiques en droit des contrats

1- La rétractation du consentement de l’offrant

A quel moment le pollicitant peut-il valablement retirer son offre ? Autrement dit, jusqu’à quand l’offrant peut se rétracter ?

Si l’on s’en tient à la théorie de l’émission, le pollicitant peut retirer son offre au plus tard avant que le destinataire de l’offre n’émette son acceptation. A défaut, il serait trop tard pour se rétracter et le contrat serait valablement formé si la rétractation est envoyée postérieurement à la date de l’émission de l’acceptation. Autrement dit, la rétractation postérieure à la date de l’émission est sans incidence sur la validité du contrat qui est censé se former à la date de l’émission de l’acceptation de l’offre et ce, même si le pollicitant ignore encore que son offre a été acceptée.

En revanche, pour la théorie de la réception, le pollicitant peut se rétracter tant qu’il ne reçoit pas l’acceptation du destinataire de l’offre.

2- La révocation du consentement de l’acceptant

Le contrat se formant au moment de la rencontre de l’offre et de l’acceptation, la théorie de l’émission n’admet pas une révocation de l’acceptation dès lors que celle-ci est émise.

Par exemple, pour un contrat conclu par courrier, il n’est plus possible pour l’acceptant de révoquer son consentement une fois qu’il a envoyé son courrier d’acceptation. Il ne pourra pas valablement, entre le moment où il a posté son courrier et le moment où l’offrant reçoit ledit courrier, révoquer son consentement en se permettant d’appeler l’offrant pour annoncer que le courrier qu’il vient de lui envoyer est sans valeur juridique.

En revanche, pour la théorie de l’acceptation, l’acceptant peut valablement révoquer son acceptation tant que celle-ci n’est pas parvenue au pollicitant. En effet, pour cette théorie, le contrat n’est valablement formé que du jour où le pollicitant reçoit l’acceptation du destinataire de l’offre.

3- Transfert des risques

Dans les pays de tradition juridique romano-germanique dits également de tradition civiliste, famille juridique à laquelle appartiennent la Guinée et la France, les transferts des risques se font du jour de la conclusion du contrat, dans la mesure où, en règle générale, dans ces pays, les contrats sont consensuels, c’est-à-dire qu’ils se forment par le simple échange des consentements des parties sans besoin d’accomplir de formalités supplémentaires pour leur validité.

Il en résulte que la personne qui supporte ces risques dépend de la solution adoptée : théorie de l’émission ou théorie de la réception.

En effet, dans la théorie de l’émission, le contrat étant conclu du jour de l’émission de l’acceptation de l’offre, les risques sont supportés par l’acquéreur de la chose à cette date.

Alors que dans la théorie de la réception, au moment de l’émission de l’acceptation, le contrat n’étant pas encore formé, les risques sont normalement supportés par le vendeur.

4- Prescription de l’action en nullité du contrat

Le point de départ de la prescription de l’action en nullité du contrat est le jour de la formation du contrat.

B- Intérêts pratiques relatifs à la compétence des tribunaux ou à la loi applicable

1- En droit interne

En droit interne, tant en droit guinéen qu’en droit français, la compétence des tribunaux n’est plus déterminée en fonction du lieu de formation du contrat.

En droit guinéen, v. notamment l’article 162 du Code de procédure civile, économique et administrative (CPCEA) qui prévoit qu’en matière contractuelle, la juridiction compétente est celle du lieu de livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service.

Exception en droit français :

En droit du travail, l’article R 1412-1, al. 3 du Code du travail dispose que : « Le salarié peut également saisir le conseil de prud’hommes du lieu où l’engagement a été contracté ou celui du lieu où l’employeur est établi ».

2- En droit international privé

La compétence des tribunaux n’est également plus déterminée par le lieu de formation du contrat.

En effet, en droit international privé, la loi applicable à un contrat international est celle choisie par les parties (J.-P. Niboyet, La théorie de l'autonomie de la volonté : RCADI 1927, t. I, vol. 16, p. 1 s., spéc. p. 34; P. Mayer, V. Heuzé et B. Remy, Droit international privé : LGDJ, 12e éd., 2019, n° 747). C’est ce qu’on appelle le principe d’autonomie (v. l'arrêt American Trading Company, Cass., 5 déc. 1910 : S. 1911, p. 129, note Lyon-Caen ; Rev. dr. int. 1911, p. 395 ; JDI 1912, p. 1156) , par lequel la Cour de cassation consacre le principe d'autonomie dans les contrats internationaux en 1910.

A défaut de choix effectué par les parties, « il appartient aux juges du fond de rechercher, d’après l’économie de la convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants » (Cass. 1ère civ., 6 juill. 1959).

III- La solution en droit positif A- Les solutions jurisprudentielles

Jusqu’à des dates récentes, les contrats entre absents n’étaient légiférés ni en droit guinéen, ni en droit français.

En effet, en droit français, c’est l’Ordonnance du 10 février 2016 qui a introduit dans le Code civil des dispositions relatives aux contrats entre absents.

En droit guinéen, jusqu’à la réforme du Code civil en date du 15 octobre 2019 date à laquelle un nouveau Code civil est publié au Journal officiel de la République de Guinée, aucune disposition dudit code ne régissait les contrats entre absents.

Aussi, il revenait à la jurisprudence de définir le régime juridique des contrats entre absents.

1ère position de la Cour de cassation : Refus de contrôle au motif que le contrat entre absents est une question factuelle dont l’appréciation appartient aux juges du fond.

 

Dans un premier temps, la Cour de cassation refusait de contrôler les contrats absents arguant le fait que lesdits contrats étaient des questions factuelles dont l’appréciation était réservée aux juges du fond. Ce fut le cas d’un arrêt de la Cour de cassation en date du 6 août 1867.

2ème position : Consécration de la théorie de l’émission

Dans un arrêt en date du 21 mars 1932, la Cour de cassation avait adopté la théorie de l’émission en considérant que : « La formation de la promesse est réalisée, et le contrat rendu parfait par l’acceptation des propositions qui sont faites, dès l’instant où cette acceptation a lieu ».

3ème position : Consécration de la théorie de l’acceptation

Dans un arrêt du 17 septembre 2014, la Cour de cassation a semblé abandonner la théorie de l’émission au profit de la théorie de la réception (Cass., 3è civ., 17 sept. 2014, n° 13-21. 824).

En l’espèce, il s’agissait d’une vente d’un bien immobilier. Par acte du 16 janvier 2004, les vendeurs s’étaient engagés à vendre une maison à un acquéreur.

Le 11 février 2004, le notaire notifie à la Commune une déclaration d’intention d’aliéner. Le 29 mars 2004, la Commune exerce, lors de sa délibération, son droit de préemption. Le 2 avril 2004, la Commune notifie par lettre aux vendeurs sa décision de préemption.

Cependant, le 1er avril 2004, le notaire avait envoyé à la Commune un courrier avec accusé de réception pour l’informer de ce que les vendeurs avaient révoqué leur promesse de vente.

La Commune a assigné les vendeurs en validité de la vente.

Elle est déboutée par la Cour d’appel de Montpellier qui a considéré qu’au moment de l’exercice de la rétractation par les vendeurs, le contrat n’était pas formé.

Après un pourvoi devant la Cour de cassation, l’arrêt de la cour d’appel est confirmé par la Haute juridiction considérant que « l’offre de vente résultant de la déclaration d’intention d’aliéner constituait jusqu’à son acceptation par le titulaire du droit de préemption une simple pollicitation qui pouvait être rétractée unilatéralement ».

B- La solution prévue par les codes civils guinéen et français

1- Le Code civil guinéen

Si le nouveau Code civil guinéen est salutaire en ce qu’il prévoit des dispositions relatives aux contrats entre absents, car ce qui n’était pas le cas de l’ancien code, il ne règle pour autant pas toutes les questions relatives auxdits contrats, puisqu’il se contente de renvoyer, s’agissant des questions du moment et du lieu de formation du contrat entre absents, aux

dispositions relatives aux contrats conclus entre individus présents physiquement (v. en ce sens l’article 1077 du nouveau Code civil guinéen).

Il en résulte que pour le législateur guinéen, les contrats entre absents sont synonymes aux contrats conclus entre des personnes présentes physiquement, ou, à tout le moins, ils sont, pour le législateur guinéen, soumis au même régime juridique.

Or, nous avons déjà montré les différences entre les deux notions et les contrats entre absents présentent des intérêts différents de ceux des contrats conclus entre des personnes présentes physiquement. Quid du Code civil français ?

2- Le Code civil français

Depuis l’Ordonnance en date du 10 février 2016, le régime juridique des contrats entre absents est défini dans le Code civil français.

La solution adoptée par cette Ordonnance est la consécration de la théorie de l’émission.

En effet, cette solution résulte des dispositions de l’article 1121 du Code civil aux termes duquel : « Le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Il est réputé l’être au lieu où l’acceptation est parvenue ».

Il s’ensuit que le contrat entre absents est réputé conclu à la date à laquelle l’acceptation est parvenue à l’offrant et ce, même si ce dernier n’en a pas pris connaissance.


LG Avocats

Kipé, sur la T2, Commune de Ratoma, Conakry.